Comment es-tu arrivée sur le projet Protège-moi ?
Je connaissais Placebo depuis déjà, deux, trois ans. Brian est bilingue et ça faisait pas mal de temps qu’il voulait adapter une chanson en français. J’ai fait une traduction de Protect Me From What Want qui lui a plu, et il m’a demandé de le rejoindre en studio à Londres. Il y avait juste Brian, le mixeur et moi, tout s’est fait très naturellement. On a retravaillé les phrases qu’il n’aimait pas, qui ne sonnaient pas, on a pas mal discuté du morceau. Il m’a dit qu’au début pour lui c’était une descente d’acide…
Comment s’est passé l’enregistrement ?
Ca m’a vraiment impressionnée de le voir en studio. Je l’avais vu sur scène, j’avais écouté les disques, mais je crois que c’est la première fois que je voyais quelqu’un d’aussi précis en studio. En deux, trois heures c’était bouclé. Il avait bien pointé les problèmes de fond et de forme. Il sait tout de suite ce qu’il veut ou ce qu’il ne veut pas. Il est très simple.
On t’imagine écouter des groupes plus punks…
Oui mais Placebo ça me plaît vraiment : la personnalité de Brian, son côté androgyne, est quelque chose d’assez évident pour moi. Quand je l’ai rencontré il dégageait une vraie ambiguïté, et en jouait d’une manière inattendue. Il ressemblait à Asia Argento. Ca aurait été sublime de les réunir. Et puis les Placebo ont un rapport très classe à la défonce, dans l’esprit de Williams Burroughs… C’est plus des drogués que des toxs, même si la drogue c’est jamais aussi simple que ça… Mais c’est de vrais beaux drogués. Dès que ça devient tox, ils se disciplinent. Ils ont un vrai goût de l’expérience.
De quoi parle la chanson selon toi ?
Pour moi, ça parle d’énormément de choses, des relations humaines. J’adore le refrain " protect me from what I want " (" protège-moi de mes désirs "). En ce moment j’écris un article sur Hubert Selby, et je retrouve dans Protège-moi la compulsion qu’il y a dans ses romans, le Démon par exemple Pour moi c’est une réflexion sur le couple. Quelqu’un qui demande à une plus haute autorité de les protéger de ce qu’il veut – ça peut être tout foutre en l’air, de le quitter, de tromper l’autre, de détruire l’histoire. Et je trouve que cette réflexion sur les difficultés de rester en couple résonne particulièrement aujourd’hui. Je crois que c’est une des raisons du succès un peu inattendu du bouquin de Justine Lévy. Les couples ont une duré de vie très limitée, comme tout d’ailleurs.
C’est une chanson qui te ressemble ?
Oui ça me correspond bien de demander à l’autre de me protéger d’une partie de moi-même. La partie la plus libre ou destructrice. Et puis l’impératif du refrain m’amusait. Il y avait une continuité cocasse, Protège-moi et après Baise-moi …
Ce n’est pas antithétique…
Pas du tout justement, c’est lié.
La traduction a-t-elle était compliquée ?
La chanson, qui au premier abord avait l’air évidente, s’est révélée assez complexe et subtile. Je pensais que j’allais faire ça en deux secondes, et en fait j’y ai beaucoup pensé. Il y a beaucoup de contraintes : faut que ça sonne, faut que ça rime. Il y avait aussi des expressions qui n’avaient aucun sens pour un français. Traduire mot à mot faisait perdre tout son sens. Je me suis donc projeté dans une histoire, celle de quelqu’un qui rentre d’une soirée, qui se sent seul.
Qu’as-tu pensé du clip de Gaspard Noé ?
Je devais aller sur le tournage et je me suis dégonflée au denier moment. Je me suis rendue compte juste avant d’y aller que j’allais voir des bites partout et que je n’avais pas envie d’être dans ce genre d’ambiance sans boire ni fumer. Je me suis totalement dégonflée. J’ai regretté : Gaspard Noé va se foutre de moi pendant des années ! Mon interprétation du clip c’est que Gaspard Noé a envie qu’on le protège de son envie de se faire sodomiser ! Pourquoi il a si peur ? (rires)
Tu te sens proche du travail de Gaspard Noé ?
Oui, je l’admire énormément. Il nous avait beaucoup soutenues et conseillées (Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi) pour Baise-moi. Il décloisonne les genres au niveau du sexe et au niveau de ce qui est stimulant intellectuellement, parce qu’il n’a pas de culture classique, codée. Il est très instinctif. Pour moi, il bosse sur le totalitarisme d’une façon très intéressante, qui n’est ni française ni américaine. Il me fait penser à Jodorowsky. Je trouve également qu’il ressemble énormément à Brian Molko dans sa façon de travailler : ils sont tous les deux en pleine possession de leurs instruments respectifs et ils vont très vite sans tergiverser. Dans Placebo, il y a aussi un décloisonnement des genres. Je trouve que tous les trois, on fait un beau triangle. Un beau cadeau pour l’été !
Trouves-tu regrettable que le clip ne soit pas diffusé à la télé ?
Oui. Le CSA ne l’a pas censuré, mais c’est évident que les chaînes ne passeront pas ça. A la télé, c’est vraiment des crétins. MTV, c’est le même clip toute la journée. C’est dommage qu’il n’y ait pas de place pour des trucs plus expérimentaux. A 16 heures je comprends, mais la nuit… Mais bon, le DVD et le net permettent de contourner cette censure. Tant qu’il y a des gens dans les majors qui acceptent de tenter des expériences comme ça, c’est parfait.
Inrocks, édition spéciale (entretien avec Géraldine Sarratia)